Coulisses de Bruxelles - BCE: Ne tirez pas sur le pianiste!

Publié le par Soutien citoyen au Mouvement Démocrate

ReservefederalqgBCE: Ne tirez pas sur le pianiste!
 

La nouvelle pensée unique française a encore frappé : mardi 22 janvier, la Réserve fédérale américaine (photo), inquiète de la dégringolade des bourses (un phénomène cyclique, mais passons), diminue sans préavis de 75 points de base ses taux directeurs. Son principal taux se situe désormais à 3,5 % (soit une baisse de 1,75 % depuis septembre 2007) contre 4 % pour le Refi européen (sans que cela n’entraîne d’ailleurs une hausse de l’euro, mais passons encore). Aussitôt, la plupart des politiques, de l’extrême gauche à l’extrême droite, c’est fascinant, et commentateurs français applaudissent des deux mains.

Surtout, ils n’ont pas de mots assez durs à l’égard de leur punching-ball favori, Jean-Claude Trichet, le patron de la Banque centrale européenne (BCE), qui déclare le même jour à Bruxelles, devant la commission des affaires monétaires du Parlement européen, qu’il n’est pas question que la zone euro suive son homologue américaine : « en toutes circonstances, mais plus encore lors des périodes difficiles de correction significative sur les marchés, et de turbulences, la responsabilité de la Banque centrale est d’ancrer solidement les anticipations d’inflation afin d’éviter davantage de volatilité sur les marchés ».

Car il ne fait pas de doute, pour les élites françaises, que la BCE – qualifiée de « psychorigide » par les bons esprits — devrait baisser ses taux immédiatement, même si l’inflation a atteint le niveau record dans l’eurozone de 3,1 %. On est loin des 2 %, définition de la « stabilité des prix » selon Francfort. Il est vrai que la France, dont Nicolas Sarkozy a dévoré la faible marge de manœuvre budgétaire en distribuant 15 milliards d’euros de cadeaux fiscaux en pure perte, ne sait plus quel robinet de croissance actionner… Est-ce un hasard si les critiques contre la BCE sont une spécialité essentiellement française, une sorte de camembert monétaire …

Article_cpshyz64220108000031photo00 Au-delà de cet aspect conjoncturel, il semble échapper à beaucoup que la crise actuelle est due à l’explosion d’une bulle immobilière aux États-Unis, bulle justement créée par un crédit beaucoup trop facile qui a encouragé les banques à prendre des risques. Alan Greenspan, l’ancien président de la Fed, ne s’en est jamais vraiment préoccupé, comme il ne s’était d’ailleurs pas préoccupé de la bulle internet. Certes, en 1996, il a dénoncé « l’exubérance irrationnelle » des marchés, mais sans en tirer les conséquences : il a privilégié le dynamisme de l’économie au détriment de toute autre considération. Au fond, pour la Fed, le marché a toujours raison et ce n’est pas à la Banque centrale de le contrecarrer, mais aux autorités politiques (relire ses explications). En 2000, un proche de la BCE, lors d’un entretien « off the record », m’avait expliqué qu’il considérait que Greenspan jouait avec le feu en se désintéressant de la bulle immobilière comme de la bulle internet (qui alors n’avait pas encore explosé). J’avoue avoir été un peu étonné par ce réquisitoire qui prend toute sa valeur huit ans plus tard. La BCE estime qu’il faut lutter avant tout contre le « stop-and-go », ravageur pour les plus pauvres (le stop, c’est du chômage), et privilégier une croissance « stable et non inflationniste ». Difficile de le lui reprocher.

Peut-on dès lors accuser la BCE de ne pas jouer son rôle ? Au contraire. Elle a été la première banque centrale à comprendre la gravité de la crise et, dès le mois d’août, à injecter massivement des liquidités dans le système bancaire afin d’éviter un effondrement du système. La Banque d’Angleterre, en réagissant trop tard, est responsable de la descente aux enfers de la Northern Rock. Depuis, régulièrement, Francfort remet de l’huile dans les rouages en prêtant de l’argent à très court terme aux banques afin d’éviter un « credit crunch », les établissements financiers, méfiants, étant réticents à se prêter de l’argent entre eux et donc aux entreprises et aux particuliers. Nicolas Sarkozy et certains économistes l’ont accusé de voler au secours des spéculateurs, ceux qui ont joué avec les subprimes. Cela n’est pas faux, mais que faire d’autre ? Lorsque je vois un économiste comme Bernard Maris (le « Oncle Bernard » de Charlie Hebdo) évoquer dans Libération d’aujourd’hui la nécessité d’un krack équivalent à celui de 1929 pour purger le système, je me demande s’il a conscience de l’énormité de ce qu’il dit. 1929, cela s’est traduit par des millions de chômeurs, par l’installation de régimes fascistes et pour finir par une guerre mondiale, faut-il le rappeler ?

Bce_logoLa BCE doit-elle néanmoins baisser ses taux afin de maintenir les feux de la croissance dans l’eurozone ? Alors que la crise actuelle est justement due à un excès de liquidité (il suffit de voir l’évolution de M3, c’est-à-dire de la masse monétaire liquide sur dix ans, pour comprendre…), j’ai du mal à voir pourquoi cela serait nécessaire. Surtout alors que la situation est différente des deux côtés de l’Atlantique : la crise des subprimes est américaine ainsi les déséquilibres des comptes publics et de la balance commerciale qui jouent un rôle fondamental dans ce qui se passe. Si les fondamentaux de l’économie américaine n’étaient pas aussi mauvais, la crise aurait-elle été aussi grave ? Faut-il aussi rappeler qu’une baisse des taux n’a jamais permis de sortir d’une crise bancaire, ni de resolvabiliser des emprunteurs défaillants comme le souligne Gilles Etrillard, associé gérant chez Lazard, dans la Tribune du 25 janvier ?

Surtout, il ne faut pas oublier que les taux d’intérêt réels sont particulièrement bas dans l’Eurozone: défalqué de l’inflation, le Refi est à 0,9 %... La Fed, en revanche, joue avec le feu en ouvrant grand le robinet du crédit (les taux réels sont désormais négatifs outre-Atlantique) avec le risque d’alimenter une inflation déjà élevée même si on peut comprendre pourquoi elle le fait : rétablir la confiance, redonner de l’air aux entreprises et aux ménages qui n’ont pas encore fait défaut, etc.. Bref, jusqu’à présent, la BCE joue parfaitement son rôle et se montre moins fébrile qu’une Fed qui n’a rien vu venir. Tirer sur la BCE, c’est une façon bien commode de se défausser : car la crise actuelle implique que les politiques prennent leurs responsabilités en matière de surveillance prudentielle (bancaire).


source: Coulisses de Bruxelles

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