Jean Peyrelevade, conseiller de François Bayrou : «Je ne crois pas une seule seconde au choc de confiance promis par Sarkozy»

Publié le par Soutien citoyen au Mouvement Démocrate (site non officiel)

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La discussion sur le projet de budget 2008 s’ouvre aujourd’hui à l’Assemblée nationale dans un contexte économique morose. Du coup, les critiques pleuvent, à gauche comme à droite. Jean Peyrelevade, ancien patron du Crédit lyonnais, ex- conseiller économique de Pierre Mauroy (PS) et aujourd’hui proche de François Bayrou, dresse un réquisitoire contre le premier budget de l’ère Sarkozy.

Quel regard portez-vous sur le budget 2008 ?

La situation des finances publiques va continuer de se dégrader. Nous allons confirmer notre place de plus mauvais élève européen en matière de déficits publics. Et, compte tenu de la médiocrité de la croissance, la barre fatidique des 3 % de déficit risque d’être atteinte dès l’an prochain.

L’effort sur la productivité de l’Etat reste faible : 23 000 postes de fonctionnaires en moins, qui représentent une économie d’environ 500 millions d’euros en année pleine. On remarque aussi un engagement sur la progression limitée de la dépense publique. Mais le déficit de la Sécurité sociale, de 12 milliards d’euros, va sans doute se creuser. Enfin, il ne faut pas oublier les cadeaux fiscaux, de 6 ou 7 milliards pour 2007, le double en année pleine.

Le choc de confiance promis par Nicolas Sarkozy aura-t-il un effet sur l’économie ?

Je n’y crois pas une seule seconde. Nicolas Sarkozy et le gouvernement commettent une erreur profonde de diagnostic sur la nature du mal dont souffre l’économie française. L’essentiel des efforts (les cadeaux fiscaux) va en priorité aux ménages, c’est-à-dire à la consommation. Voyez : on baisse les impôts sur les successions, on déduit les intérêts d’emprunts immobiliers, on défiscalise les heures supplémentaires, on instaure le bouclier fiscal. Tout cela au nom d’un raisonnement imparable, mais faux : ce n’est pas la consommation qui va tirer la croissance à la hausse.

Où est l’erreur, alors ?

La France souffre non pas d’une absence de soutien de la demande intérieure, mais d’un déficit d’offre. Depuis 2001, la consommation des ménages croit plus vite que la production, qui n’est pas capable de suivre. Depuis six ans, ce sont les importations qui augmentent de manière considérable, dégradant notre commerce extérieur. Le moteur économique est mal réglé. Avant de rajouter du carburant sous forme de pouvoir d’achat, il faut d’abord changer le réglage.

La relance par la consommation est-elle vraiment une politique de droite ?

Le président de la République, soi-disant libéral, fait la même erreur de politique économique que celle de François Mitterrand en 1981. Cette erreur historique il a fallu la corriger rapidement fin 1982 avec un plan de redressement. Un vrai plan de rigueur.

D’où vient cette obsession de la demande ?

C’est une vieille tradition française qui date des Trente glorieuses (1945-1973). Il fallait développer l’économie. On négociait des hausses de salaires, on fabriquait de l’inflation et on recadrait par des dévaluations. A partir de 1982, Pierre Mauroy et Jacques Delors, à gauche, ont mis fin à cette culture de l’inflation dont, à l’époque, le patronat était complice. Ensuite, il y a une certaine démagogie de la classe politique à toujours choisir la demande contre l’offre. Toute l’action économique est orientée en direction des ménages, donc des électeurs. On parle du pouvoir d’achat, jamais de l’investissement des entreprises. Ni à gauche, ni à droite, d’ailleurs.

Cet investissement est-il insuffisant ?

Depuis 2000, la part du travail (masse salariale plus charges), dans la valeur ajoutée des entreprises n’arrête pas d’augmenter. A cause des 35 heures, mais aussi des allégements d’impôts des ménages consentis par Chirac, et de ces nouveaux allégements Sarkozy. Ces cadeaux fiscaux, il faut bien les payer à un moment ou un autre. On les alimente par des ressources prélevées en partie sur les entreprises. Et celles-ci n’ont plus de marges pour investir.

Comment régler ce «défaut de réglage» de l’économie française ?

La France souffre de sous-investissement. Il faut donc déplacer la valeur ajoutée au profit des entreprises. D’abord, en limitant la croissance des salaires par rapport à la productivité. Ensuite, les 15 milliards dépensés cet été par le gouvernement pour le pouvoir d’achat seraient mieux employés pour alléger les charges des entreprises. Il faut aussi mener une politique volontariste en faveur de notre industrie, qui souffre d’être parmi les secteurs les plus imposés. Naturellement ces mesures supposent une certaine volonté politique. D’autant que pour les financer, il faudra bien augmenter les impôts sur les ménages. C’est inéluctable si l’on veut ensuite avoir davantage de croissance et donc de pouvoir d’achat.

C’est la rigueur, comme en 1983 ?

Non, car aujourd’hui, la difficulté est plus grande qu’à l’époque. En 1981-1982, la sanction des erreurs a été rapide. Le franc s’écroulait par rapport aux autres monnaies. En 2007, la solidarité européenne et l’euro nous protègent. C’est pour cela qu’il faudra une grande clairvoyance au président de la République pour mener la bonne politique. Il a été élu sur une rupture, qui reste pour l’instant symbolique. Le risque, c’est une dégradation lente de la situation économique, un enfoncement dans la médiocrité sur fond de crise avec nos partenaires européens.

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